De l ajustement esthésique des corps à la transcendance dans la danse rituelle de samâ'

Depuis une vingtaine d’années nous sommes témoins de la présence constante du corps dans le discours de la plupart des sciences humaines. Au XXe siècle, avec Husserl, la phénoménologie du corps acquiert une place importante dans l’histoire de la philosophie. La problématique du corps se pose également en sémiotique. En effet dans les années quatre-vingt, le corps, qui avait été longtemps exclu de la théorie sémiotique, fait son apparition en sémiotique, avec l’esthésie et l’ancrage de la sémiose dans l’expérience sensible. Eric landowski établit une nette distinction entre le régime de la «jonction», où les actants-sujets agissent les uns sur (ou contre, ou avec) les autres par l’intermédiaire des actants-objets, et le régime de l’ «union» ou l’ «ajustement», où les états d’âme, aussi bien que les états somatiques, ne dépendent plus d’états de jonction avec des objets, mais où les variations concernant ce que [les sujets] éprouvent ‘corps et âme’ résultent, au moins en partie, directement de rapports de coprésence mutuelle, face à face ou corps à corps. Cet article a pour objectif principal de montrer que la base du rituel de la danse sacrée des derviches tourneurs repose, semble-t-il, sur un «faire ensemble» de l’ordre de l’ «union» ou de l’ «ajustement» entre corps-sujets dont le résultat est au moins pour un certain temps la construction d’un actant collectif ou plus précisément d’une entité complexe, générateur de nouvelles valeurs. Mais ce qui compte c’est que cet ajustement esthésique délivrant les corps de leur matérialité, fait passer ces corps en mouvement giratoire aux corps transcendants qui respirent au rythme de «l’âme» du monde.